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Article du point
Une autre société reste joyeusement possible

Affirmer la nécessité de l’État. La campagne interne m’avait donné l’occasion de parler du sujet ; cette « carte blanche » du Point me permet de poursuivre sur le même élan, en lointain écho à une tribune publiée dans Le Monde lors de l’élection présidentielle française de 2022 par l’économiste Xavier Ragot, directeur de recherche au CNRS.

Celui-ci regrettait que « l’État-providence du XXIe siècle » et son financement ne soient pas « le véritable sujet du débat présidentiel ». Il relevait que les enjeux – éducation, formation professionnelle, changement climatique, pandémies… – demandaient « des investissements publics nouveaux », et non de nouvelles réductions des dépenses.

Signe des temps, l’État-providence fait l’objet de deux récents essais. En décrivant le « génie », le chercheur et enseignant français Éloi Laurent[1] note que « la coopération est le cœur de la prospérité humaine, elle se propage et s’étend en se cristallisant dans des institutions qui à leur tour favorisent son extension et son intensité. De toutes les institutions inventées dans l’histoire, l’État-providence apparaît comme la plus accomplie : il favorise à la fois la stabilité sociale et le développement humain, la cohésion et l’innovation, l’efficacité et la justice. En vérité, l’existence de la protection sociale est le signe même du développement. »

 À l’heure où nous pouvons décrocher une nouvelle double majorité de gauche, il est bon d’avoir en tête cette vérité. Laquelle n’est en rien alternative, ni idéologique, mais repose sur des faits établis et documentés, contredisant le dogme néolibéral toujours ambiant. Non, analyse Éloi Laurent, l’État-providence n’est pas la résultante de la prospérité économique : il en est, depuis son apparition à la fin du 19e siècle, le fondement, tant ses vertus sont larges.

Sans lui, « les biens dits ‘‘tutélaires’’, comme l’éducation et la santé, dont les bénéfices sont immenses pour les individus et les sociétés, ne seraient jamais produits ni distribués de manière suffisante par les marchés ». Visant la justice sociale, l’État-providence a une forte capacité stabilisatrice, essentielle en temps de crise notamment ; il assure également « la continuité sociale et la cohérence temporelle de la démocratie ». D’où la proposition de l’auteur de l’étendre pour répondre davantage encore aux enjeux écologiques et sociaux.

 En opposition aux ingénieurs du chaos[2] « qui cherchent à augmenter ou à susciter la rage et à promouvoir les passions tristes », la sociologue et philosophe Dominique Méda[3] appelle de son côté à « promouvoir les passions positives, les passions joyeuses, celles qui donnent envie de transformer, de reconstruire, de coopérer, d’être solidaires ». Des passions « qui augmentent notre capacité d’agir ». Il est urgent, selon elle, de dessiner les contours d’« une société désirable, une société du plein-emploi des capacités, de la démocratisation de la production (…), qui a redéfini le progrès et où les politiques publiques sont mises au service d’un État-providence fort ». 

 Quand bien même les enjeux dépassent, et de loin, le cadre cantonal, celui-ci semble assez large pour imaginer et faire advenir une autre société, imparfaitement sans doute, mais joyeusement. 

[1] É. Laurent, Pour l’État social-écologique – Le bel avenir de l’État-providence, Les liens qui libèrent, 2024.

[2] En référence à Giuliano da Empoli, Les ingénieurs du chaos, JC Lattès, 2019. 

[3] D. Méda, Une société désirable – Comment prendre soin du monde, Flammarion, 2025.

 


 


 

Une autre société reste joyeusement possible

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