YES
Article du point
Malheureux qui, comme les compagnons d’Ulysse, ne reviendront pas de leur voyage...

« Muse, chante ce héros, illustre par sa prudence, qui longtemps erra sur la terre »

Ainsi s’ouvre le premier chant de L’Odyssée, qui raconte le retour d’Ulysse vers son royaume d’Ithaque au lendemain de la guerre contre les Troyens. Ce sont les mots qui me sont venus en tête ce mardi noir du 13 juin 2023. Tout comme ceux de Charles Péguy, qui bien plus tard écrivit : « Homère est nouveau ce matin et rien n’est peut-être aussi vieux que le journal d’aujourd’hui », soulignant en 1914 l’actualité toujours brûlante des grands récits antiques. Ce matin-là, celui du 13 juin, le journal rapportait, laconique, la mort de 79 migrant∙es au large du Péloponnèse. L’un des plus violents épisodes de ce long récit des drames liés à l’exil, qui émaillent désormais trop souvent l’histoire du temps présent. Ainsi, je n’ai pu m’empêcher de penser à L’Odyssée à propos de ces exilé∙es qui, 3000 ans après Ulysse et ses compagnons, naviguent eux aussi en direction d’une terre que beaucoup ne verront jamais.

Aujourd’hui, les muses se sont tues et ont laissé les journaux seuls raconter la chronique de ces morts annoncées. Les passeurs qui promettent aux voyageurs d’oublier leurs misères ont remplacé les Lotophages et leurs fruits aux vertus amnésiques. Le chant des sirènes qui envoutait les hommes avant de les dévorer a été remplacé par les sirènes hurlantes de Frontex, qui donnent l’illusion des premiers secours avant de repousser les malheureux vers la mort. Malheureux qui, comme les compagnons d’Ulysse, ne fouleront jamais le sol hellénique ! Hier abandonnés par les dieux égoïstes et vengeurs, aujourd’hui abandonné∙es des Hommes. Abandonné∙es au Pays des Morts, où ne les attendent que le souvenir de celles et ceux déjà rappelé∙es par l’Hadès et dont la perte signe définitivement la honte de l’Europe.

Mais Homère déjà annonçait que les âmes des morts sont comme des songes. Qui désormais osera se plaindre qu’ils nous hantent jour et nuit, jusqu’à ce que nous trouvions la force d’agir pour mettre un terme à ces disparitions injustes ?

Un sursaut politique est nécessaire ! Face aux atermoiements de l’Europe et de la Suisse. Face à l’inertie des partis. Mais également au sein de notre famille politique. Face, surtout, au sentiment de résignation.

 À ce propos, un passage d’Homère pourrait nous inspirer. Lorsqu’Ulysse trouve hospitalité chez les Phéaciens, au récit de la guerre de Troie chanté par l’aède Démodocos, il prend sa tête dans ses mains et pleure. C’est alors que le roi Alkinoos lui demande son nom. Cette partie du récit nous rappelle que c’est bien notre capacité à reconnaître dans les larmes de l’autre une partie de nous-même qui définit notre commune humanité, ainsi que notre capacité à passer de l’altérité à l’altruisme.

Celles et ceux qui, aux portes du continent, pleurent aujourd’hui leur patrie perdue et l’espoir de se voir accorder l’asile, premier de tous les devoirs sacrés, ont aussi un nom et une histoire.

Qu’attendons-nous pour, à nouveau, nous en émouvoir ?

Malheureux qui, comme les compagnons d’Ulysse, ne reviendront pas de leur voyage...

NOUS UTILISONS DES COOKIES

En poursuivant votre navigation sur notre site vous consentez à l’utilisation de cookies. Les cookies nous permettent d'analyser le trafic et d’affiner les contenus mis à votre disposition sur nos supports numériques.