À Umeå, au nord de la Suède, on marche sans peur. Cette ville est devenue un exemple international d’urbanisme féministe : éclairage repensé, bancs installés de manière inclusive, médiation sociale, sécurité renforcée dans les transports et participation citoyenne accrue. Le message est clair : les espaces publics doivent garantir à chacun·e le droit de s’y sentir libre et en sécurité.
Et Neuchâtel ? Si nous voulons des lieux de vie progressistes et inclusifs, nous devons rompre avec une vision de l’aménagement pensée pour un seul profil type : un homme adulte, autonome et professionnellement actif. Cette approche, historiquement dominante, ignore les usages et les besoins réels d’une population diverse : femmes, filles, personnes âgées, minorités de genre.
Agir localement est essentiel. À Fribourg, par exemple, la requalification du Bourg a intégré un éclairage nocturne pensé pour répondre au sentiment d’insécurité exprimé par les femmes. À Berne, chaque projet d’espace public est désormais analysé sous l’angle du genre grâce à l’intervention du Bureau de l’égalité.
Umeå pousse cette logique plus loin : la ville a mis en place des audits de sécurité genrés avec les habitantes, amélioré les abris de bus pour les rendre plus visibles et éclairés, installé des miroirs pour éliminer les angles morts dans les parkings et sous les ponts, et créé des itinéraires sûrs entre les écoles, les lieux de loisirs et les logements. Les bancs sont souvent orientés pour permettre de surveiller les alentours et les pistes cyclables sont pensées pour permettre aux enfants, aux personnes âgées ou à mobilité réduite de circuler en confiance.
Ces mesures ne concernent pas uniquement les femmes, mais améliorent la qualité de vie pour toutes et tous. Elles montrent que lorsque l’on planifie avec une perspective genrée, on planifie mieux, pour une société réellement inclusive.
Intégrer la perspective de genre dans la planification urbaine est aussi économiquement judicieux. Selon l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes (Andreola & Muzzonigro 2021[i]), cette approche permettrait de réduire les coûts d’adaptation ultérieure des infrastructures : moins de rénovations, plus d’anticipation, des aménagements durables et mieux pensés dès le départ.
Dans un contexte budgétaire tendu, Neuchâtel ne peut se permettre de reproduire les erreurs du passé en concevant des équipements publics inadaptés aux réalités sociales en constante évolution – comme des trottoirs trop étroits pour une poussette ou des places publiques sans zones de repos sécurisées.
Concrètement, intégrons des méthodologies éprouvées d’urbanisme sensible au genre. Visons ensemble l’objectif que chaque projet d’aménagement d’envergure fasse l’objet d’une analyse genrée et que des outils de planification inclusive soient appliqués dès la phase de conception.
Le recul de la Suisse au 25ᵉ rang de l’Indice d’inégalité de genre (PNUD, 2024[ii]), derrière la France et la Belgique, est un signal alarmant. Umeå, Berne et Fribourg nous montrent une voie concrète et constructive vers l’égalité. Elle exige une vision politique audacieuse, qui refuse les schémas dépassés et investit dans un avenir où chacune et chacun a sa place. L’égalité ne se proclame pas, elle se construit.
[i] Milano Atlante di Genere / Milan Gender Atlas, étude reconnue par l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes 2021. Éditeur : LetteraVentidue Edizioni
[ii] Programme des Nations Unies pour le développement, Rapport sur le développement humain 2023-2024. Sortir de l’impasse. Repenser la coopération dans un monde polarisé.