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Il y a cent ans, le procès du Comité d’Olten

Au printemps 1919, du 12 mars au 10 avril, après diverses péripéties procédurales, eut lieu ce que la Feuille d’Avis de Neuchâtel appela « le procès du soviet d’Olten ». Vingt inculpés comparurent devant le Tribunal militaire de division III, à Berne, un vingt-et-unième, Fritz Platten, étant jugé par défaut.

Pourquoi un tribunal militaire ? Parce que le Conseil fédéral et plus particulièrement le Département militaire reprochaient notamment aux dirigeants socialistes et syndicalistes qui avaient appelé le 11 novembre 1918 à la grève générale le passage suivant de leur manifeste, constitutif du délit d’incitation à la mutinerie1 :

« Soldats ! 

C’est à vous que les possédants feront appel pour sauvegarder le régime par la puissance des armes. On exige que vous tiriez sur vos propres concitoyens, sans honte on vous condamne à assassiner votre femme et vos enfants. Nous sommes persuadés que vous refuserez de vous soumettre à ces ordres. Vous ne voudrez pas être les bourreaux de vos proches et de vos concitoyens. Pour éviter tout conflit sanglant, nous vous invitons à instituer dans toutes les unités mobilisées des Conseils de soldats qui prendront leurs mesures d’accord avec les organisations ouvrières. »

Deux socialistes et syndicalistes neuchâtelois étaient sur le banc des accusés : le Loclois Achille Grospierre (1872-1935), qui fut conseiller général et conseiller communal de sa ville natale, ainsi que député au Grand Conseil et qui était au moment de la grève conseiller national du Jura bernois, et le Chaux-de-Fonnier Charles Schürch (1882-1951), lui aussi conseiller général et député au Grand Conseil, ainsi que président de l’Union ouvrière et rédacteur de La Sentinelle de 1909 à 19122. 

Un troisième socialiste neuchâtelois était impliqué dans le procès : Charles Naine (1874-1926), en sa qualité d’avocat des quatre inculpés de langue française, soit, outre Grospierre et Schürch, Paul Perrin et Émile Ryser, deux secrétaires syndicaux.

Malgré la pression exercée par le gouvernement et la presse bourgeoise, à la mesure de la trouille que leur avaient inspirée les grévistes de novembre 1918, accusés – entre autres sornettes – d’avoir voulu instaurer en Suisse un régime bolchevique, le tribunal militaire acquitta dix-sept accusés – dont Grospierre et Schürch – et infligea des peines d’emprisonnement aux quatre « meneurs » : six mois à Robert Grimm, Friedrich Schneider et Fritz Platten (contumace) et quatre semaines à Ernest Nobs, futur premier conseiller fédéral socialiste (1944-1951).


Voici quelques extraits de la relation de l’audience
de jugement parue dans La Sentinelle du vendredi
11 avril 1919 : 

« Dès 3 heures, un assez nombreux public attend devant l’Amthaus. On remarque spécialement des fonctionnaires et employés fédéraux, des ouvriers et des collégiens. Grimm est reçu par des applaudissements, mais l’auditeur [titre du procureur dans la justice militaire] est sifflé. Assez ponctuellement, le grand-juge [président du tribunal militaire] commence la lecture des considérants et cela dure une bonne heure d’horloge. Les places du public sont remplies jusqu’aux derniers recoins et tous les journalistes sont à leur poste. Ici et là, des groupes de la police d’armée, fusil en main. Cela seul suffit à caractériser les temps que nous traversons et l’anachronisme brutal d’un tribunal militaire, tout spécialement pour juger ces vingt civils dont le grand-juge lui-même déclarera que les plus coupables sont cependant d’honnêtes et braves gens. 

Tandis que les raisons d’acquittement se multiplient, on voit certains correspondants de journaux bourgeois manifester leur stupéfaction. Marche-t-on vraiment vers l’acquittement complet ? Mais non, ces messieurs en auront pour leur vengeance et leur satisfaction. On sent que l’on a multiplié les subtilités et les habiletés pour faire un tri savant, on veut arriver à condamner quelques politiciens qu’on trouve remuants : Grimm, Schneider et Nobs, et à libérer les syndicalistes et les cheminots. Les autorités fédérales semblent vouloir composer avec les forces ouvrières et les séparer des forces politiques. Il est à remarquer que, à part Platten, condamné par contumace, les trois condamnés sont attachés à la Tagwacht, au Volksrecht et au Basler Vorwärts. C’est la presse qu’on frappe, la presse socialiste, bien entendu, tandis que les excitateurs qui inventèrent le complot source de tout le mal se gaussent des tribunaux. […] Un cheminot, dans la salle, nous déclare que dans leur monde on a l’impression qu’on a compris que le temps des larges concessions est venu et qu’on n’écartera plus aussi facilement ni la collaboration ni les désirs des cheminots. D’un autre côté, on ménage le monde syndical, car on est résolu à marcher rapidement dans la voie de profondes réformes sociales. Il fallait alors que la grève générale porte tous ses fruits malgré la « capitulation sans condition », sauver le prestige en prononçant des condamnations choisies. Les acquittés en sont très mécontents. Ce jugement semble pour eux une condamnation aux yeux des ouvriers, alors qu’ils ont le sentiment d’avoir fait leur devoir. Nous devions être ou tous acquittés ou tous condamnés, car la grève générale fut une action collective, dans laquelle chacun accepta ses responsabilités. […]

Rien de plus éloquent que le mécontentement des acquittés et la joie des condamnés. C’est le cas de dire que le méchant – je fais allusion aux tribunaux militaires – fait une œuvre qui le trompe. »


Raymond Spira


1 Le texte intégral de l’Appel est reproduit aux pages 123 à 127 de l’ouvrage commémoratif de Constant FREY, La grève générale de 1918, publié en 1968 aux Editions Générales de Genève, sous l’égide de l’Union syndicale suisse.

Pour les deux biographies complètes, cf. le DHS.

3 FREY, op. cit., p. 180-181.

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