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Il y a cent ans : l’affaire du drapeau rouge

Le voilà ! Le voilà ! Regardez ! 
Il flotte et fièrement il bouge, 
Ses longs plis au combat préparés, 
Osez, osez le défier ! 
Notre superbe drapeau rouge ! 
Rouge du sang de l’ouvrier ! [1]

Depuis le XVIIIe siècle, le drapeau rouge est l’emblème du prolétariat et de la gauche. Aujourd’hui encore, il nous sert d’étendard dans les manifestations, même si quelques camarades lui préféreraient le drapeau vert…

À La Chaux-de-Fonds, il y eut dans l’histoire de la ville de gauche deux épisodes liés à ce drapeau, dont le second s’est produit il y a juste un siècle.

1918 : le drapeau rouge flotte sur le Gymnase

En novembre 1918, à l’occasion de la grève générale, Auguste Lalive (1878-1944), directeur fraîchement nommé du Gymnase de La Chaux-de-Fonds, fait hisser le drapeau rouge sur le toit de l’école en signe de sympathie pour les grévistes. Ce qui mit fort en colère les partis bourgeois, qui demandèrent des comptes au directeur et au Conseil scolaire lors d’une séance de la Commission scolaire, le 13 décembre 1918. Le lendemain, on pouvait lire dans La Sentinelle :

Auguste Lalive [] explique très simplement comment les choses se sont passées. Il n’y avait pas là de quoi fouetter un chat. Il a manifesté son attachement à la classe ouvrière en arborant ce drapeau. Il était en droit de le faire. Il avait l’assentiment du président et de ses autres amis du Conseil scolaire. Le drapeau rouge est celui de l’Internationale, c’est la lutte contre la guerre ; il ne s’oppose pas aux drapeaux officiels, il se place au-dessus.

Et L’Impartial du même jour précise :

M. Lalive ne peut pas faire une proposition transactionnelle si les membres de la minorité maintiennent leur désir d’obtenir l’assurance formelle que pareil fait ne se renouvellera pas. Pour l’orateur le drapeau rouge est l’emblème de l’humanité et il le fera toujours placer bien en vue chaque fois que le drapeau fédéral deviendra le symbole d’un parti.

On imagine la fureur des commissaires bourgeois à l’écoute de tels propos ![2]

1922 : le drapeau de la populace…

En 1922, le Conseil communal de la Métropole horlogère, à majorité socialiste, entend manifester son soutien à la classe ouvrière en arborant l’étendard écarlate à l’occasion du Premier Mars, provoquant l’indignation de la Feuille d’avis de Neuchâtel :

On n’a jamais eu l’idée saugrenue de célébrer une fête officielle en arborant un drapeau de parti à une mairie. C’est le drapeau du pays qui s’y trouve à sa place [3].

 Dans la nuit du 28 février au 1er mars, quelques individus sortant du Cercle Montagnard, haut lieu de la droite chaux-de-fonnière, entreprennent d’arracher le drapeau rouge qui pend au côté des pavillons suisse, neuchâtelois et chaux-de-fonnier aux façades de l’Hôtel communal et de l’Hôtel de ville. Ce n’était pas une plaisanterie mais une véritable action politique, ainsi qu’on peut le déduire du récit haut en couleur qui figure en première page de La Sentinelle du 2 mars 1922. Alertée, la police locale arrête les impétueux adversaires des « rouges » et les dénonce à la justice. Ces derniers seront toutefois acquittés le 24 juin par le tribunal de police de La Chaux-de-Fonds, présidé pour l’occasion par un juge de Neuchâtel[4]. 

 L’affaire eut des suites politiques. Un débat s’engagea au Conseil général le 12 mai, d’autant plus vif que plusieurs des protagonistes de l’expédition du 1er mars étaient membres du législatif communal. Pour le socialiste Fritz Eymann, « le drapeau rouge est le prolongement du drapeau national, il sera plus tard l’emblème vénéré qui ralliera tous les pays et toutes les races »[5]. 

Pour le PPN[6] Tell Perrin, au contraire, « le drapeau rouge est l’emblème du sang, il représente la révolution et les plus bas instincts de la population »[7]. Pire encore : « le drapeau rouge, c’est celui de la populace »[8], le mot de trop qui déclenche un gros chahut où l’on en vient presque aux mains dans l’enceinte du parlement chaux-de-fonnier.

 Décidée à en découdre, la droite lance alors une initiative populaire visant à interdire d’arborer sur les édifices publics de la ville tout autre emblème que ceux de la Confédération, du canton ou de la commune. La proposition est acceptée en votation le 29 octobre 1922 par 2981 oui contre 2638 non[9], au grand désappointement des socialistes, qui soupçonnent qu’une partie des électeurs, trompés par « le texte compliqué » de l’initiative, ont voté oui en croyant soutenir les partisans du drapeau rouge…[10] 

Et ils se consolèrent en chantant :

Noble étendard du prolétaire,
Des opprimés sois l’éclaireur.
À tous les peuples de la terre
Porte la paix et le bonheur !

[1] Le Drapeau rouge (1877), paroles de Paul Brousse (1844-1912), musique de Jacques Vogt (1810-1869). Sur l’étonnante histoire de ce célèbre chant ouvrier dont la mélodie n’est autre que celle des Bords de la libre Sarine, cf. Robert Brécy, « Le Drapeau rouge », in Revue d’histoire moderne et contemporaine, t. 22, no 2, 1975, p. 262-268, ainsi que Pierre Rime, « La surprenante destinée d’un chant patriotique fribourgeois », in Passé simple, no 21, janvier 2017.
[2] En marge de cet incident, Jules Humbert-Droz publia trois articles très documentés sur l’histoire du drapeau rouge dans La Sentinelle des 9, 10 et 12 décembre 1918.
[3] « Un incident significatif », Feuille d’avis de Neuchâtel et du Vignoble Neuchâtelois, 2 mars 1922.
[4] Cf. les comptes rendus publiés dans L’Impartial des 24 et 26 juin 1922. Aucun avocat n’ayant accepté de défendre la Commune, qui s’était portée partie civile, ce fut Paul Graber qui s’en chargea. Les considérants du jugement sont partiellement reproduits dans La Sentinelle du 27 juin. Voir aussi le poème satirique signé Vigouss publié le 29 juin dans le quotidien socialiste. 
[5] L’Impartial, 13 mai 1922.
[6] Parti progressiste national.
[7] L’Impartial, 13 mai 1922.
[8] La Sentinelle, 13 mai 1922.
[9] L’Impartial, 30 octobre 1922.
[10] La Sentinelle, 30 octobre 1922.

Il y a cent ans : l’affaire du drapeau rouge

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