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Des voix qui se sont tues…

Sur l’actuelle guerre en Ukraine, les voix de la social-démocratie européenne ne brillent guère par leur originalité, elles se confondent même plutôt avec le discours moraliste dominant : se joueraient là nos valeurs occidentales, voire l’avenir démocratique du continent, se justifierait donc que nous ne cessions de soutenir l’Ukraine avec des armes de plus en plus sophistiquées, que nous travaillions à la défaite totale de la Russie, entre autres arguments…

Passons sur l’ignorance dont témoignent parfois ces camarades quant à l’histoire même de ce conflit complexe, qui en réalité dure déjà depuis 2014 et qui s’explique moins par un choc de valeurs que par une confrontation d’ambitions territoriales comme l’Europe en a tant connues dans son histoire (et que l’effondrement de l’URSS n’a fait que raviver). Passons aussi sur leur volonté peu responsable de minimiser les risques de dérapage liés à cette guerre, laquelle implique des puissances dotées de l’arme nucléaire.

Si en tant que socialistes, ils sont évidemment fondés à condamner l’agression de la Russie, à rejeter l’autocratie de toutes ses élites dirigeantes, qui en plus s’accommodent assez bien d’un ultralibéralisme sur le plan économique, ils devraient aussi ne pas trop idéaliser le régime ukrainien. Que ses gouvernants aient successivement penché à l’Est ou à l’Ouest, voilà un État encore gangréné par la corruption, où le niveau de vie a stagné depuis l’indépendance de 1991 (alors qu’il bénéfice de vastes ressources naturelles), où les inégalités sociales s’avèrent toujours criantes, où certaines minorités restent discriminées, où la liberté syndicale même est entravée (selon un récent vote de la Rada).

Enfin, nous lessociaux-démocrates devrions nous rappeler que le travail pour la paix constitue l’un de nos idéaux fondamentaux, même et surtout quand il paraît difficile et qu’ici plus que jamais, la guerre ne fait qu’amplifier l’essor des nationalismes et la course aux armements.

Bien sûr que notre sens de la justice doit nous amener à aider une petite nation illégitimement agressée, si discutable soit son régime. Mais jusqu’où dispenser cette aide, comment surtout éviter qu’elle ne devienne contre-productive, là est le dilemme ! La guerre moderne impose souvent sa propre logique, qui finit par ne plus faire voir d’autre solution que militaire, un engrenage dont aucun des peuples impliqués ne sort vraiment vainqueur et qui n’enrichit que les profiteurs de tous bords. Les socialistes européens du siècle passé savaient tout cela, eux qui sinon n’auraient pas hésité à inciter les troupes de l’OTAN à sauver de la griffe soviétique la Hongrie de Nagy en 1956 ou la Tchécoslovaquie de Dubček en 1968 ; l’émancipation des peuples est-européens, ils y ont contribué plus efficacement que par les armes, notamment en obtenant de l’URSS les accords d’Helsinki de 1975.

Jean Jaurès a été assassiné pour avoir essayé d’empêcher l’horrible boucherie de 14-18, Fritz Bauer consacra sa vie à combattre le bellicisme nazi, Willy Brandt a conduit une Ostpolitik qui n’est pas pour rien dans la fin pacifique de la guerre froide sur notre continent, Olof Palme a incarné une politique étrangère non-alignée qui lui valut la considération de la communauté internationale, le chancelier Bruno Kreisky a donné à la neutralité autrichienne une notoriété dépassant les frontières de son pays, le diplomate Hubert Védrine a œuvré pour que l’Europe intègre sans condescendance la nouvelle Russie issue de la chute du communisme…

Ces voix font assurément la fierté de notre mouvement, plus que celles qui, par faiblesse ou opportunisme, se résignent à céder aveuglément au parti de la guerre : comme les socialistes français et allemands qui votèrent les crédits militaires en 1914, comme le Français Guy Mollet qui sous la Quatrième République cautionna la répression militaire en Algérie, comme le Britannique Tony Blair qui participa à l’agression américaine contre l’Irak, entre autres tristes exemples. Et comme hélas aujourd’hui presque tous les élus sociaux-démocrates allemands, français, suédois, et notamment ceux du Parlement européen (certes plus discrets depuis l’accusation de corruption pesant sur des membres du groupe) ; tous s’alignent sans réserve sur la politique de l’OTAN, quitte à risquer un embrasement généralisé en Europe.

Même en Suisse, et sans voir qu’ils réactivent ainsi la propagande des partis attachés à une neutralité dépassée, certains camarades accepteraient que des États clients de notre industrie d’armement viennent désormais approvisionner de ses produits létaux un pays en guerre comme l’Ukraine. Une disposition restrictive qu’ils avaient pourtant eux-mêmes imposée à une droite toujours très soucieuse du bien-être de nos marchands d’armes ! Ce sont nos anciens parlementaires socialistes neuchâtelois qui doivent se retourner dans leur tombe, Paul Graber notamment, eux qui ont constamment dénoncé tous les crédits militaires, fût-ce contre l’avis du PSS !

Des voix qui se sont tues…

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