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Vive l’école obligatoire, gratuite et laïque!

Entre autres mesures exceptionnelles provoquées par la pandémie, la fermeture des écoles, avec toutes ses conséquences pour les élèves, les apprentis et les étudiants, ainsi que pour leurs familles et le corps enseignant, nous aura appris ou rappelé bien des choses sur le fonctionnement de notre société. Et comme souvent, c’est en regardant vivre les enfants que nous comprenons la nécessité d’un ordre social moins inégalitaire et plus respectueux de la personne humaine.

Ma petite-fille âgée de 5 ans qui ne sait pas encore écrire a pourtant tenu à adresser, avec l’aide de son papa, une lettre à sa jardinière d’enfants pour lui dire qu’elle lui manquait et qu’elle avait hâte de la retrouver, avec ses copines et ses copains de l’école enfantine. Comme elle, de nombreux élèves privés d’école, loin de s’en réjouir, ont fait part de leur désarroi à leurs enseignants qui, de leur côté, n’ont pas ménagé leurs efforts pour pallier cette absence.

En Suisse, l’État et plus spécialement les cantons sont chargés de pourvoir à un enseignement de base suffisant – ce qu’on nomme ordinairement l’enseignement primaire – ouvert à tous les enfants, obligatoire et gratuit dans les écoles publiques (articles 19 et 62 de la Constitution fédérale et 14 de la Constitution neuchâteloise). Une conquête républicaine que célébra jadis Jean Jaurès dans une lettre aux instituteurs et institutrices publiée le 15 janvier 1888 dans la Dépêche de Toulouse :

Vous tenez en vos mains l’intelligence et l’âme des enfants; vous êtes responsables de la patrie. Les enfants qui vous sont confiés n’auront pas seulement à écrire et à déchiffrer une lettre, à lire une enseigne au coin d’une rue, à faire une addition et une multiplication. [...] Ils seront citoyens et ils doivent savoir ce qu’est une démocratie libre, quels droits leur confère, quels devoirs leur impose la souveraineté de la nation. Enfin ils seront hommes et il faut qu’ils aient une idée de l’homme, il faut qu’ils sachent quelle est la racine de toutes nos misères : l’égoïsme aux formes multiples ; quel est le principe de notre grandeur : la fierté unie à la tendresse. Il faut qu’ils puissent se représenter à grands traits l’espèce humaine domptant peu à peu les brutalités de la nature et les brutalités de l’instinct, et qu’ils démêlent les éléments principaux de cette œuvre extraordinaire qui s’appelle la civilisation. Il faut leur montrer la grandeur de la pensée ; il faut leur enseigner le respect et le culte de l’âme en éveillant en eux le sentiment de l’infini qui est notre joie, et aussi notre force, car c’est par lui que nous triompherons du mal, de l’obscurité et de la mort.

 Puis, après avoir souligné l’importance de savoir lire car « c’est la clef de tout », Jaurès concluait par ces phrases pleines d’espérance :

Il ne faut pas croire que ce soit proportionner l’enseigne- ment aux enfants que de le rapetisser. Les enfants ont une curiosité illimitée, et vous pouvez tout doucement les mener au bout du monde. [...] Voyez avec quelle facilité ils distinguent le bien du mal, touchant ainsi aux deux pôles du monde; leur âme recèle des trésors à fleur de terre : il suffit de gratter un peu pour les mettre au jour. Il ne faut donc pas craindre de leur parler avec sérieux, simplicité et grandeur.

Je dis donc aux maîtres pour me résumer: lorsque d’une part vous aurez appris aux enfants à lire à fond, et lorsque d’autre part, en quelques causeries familières et graves, vous leur aurez parlé des grandes choses qui intéressent la pensée et la conscience humaine, vous aurez fait sans peine en quelques années œuvre complète d’éducateurs. Dans chaque intelligence, il y aura un sommet, et, ce jour-là, bien des choses changeront [1].

Le droit à l’instruction

L’accès à l’instruction doit être garanti à tous les enfants vivant sur notre territoire, quels que soient leurs origines ou leur statut, et je pense ici, en particulier, aux enfants de requérants d’asile ou de migrants en quête d’une autorisation de séjour. Même s’ils doivent quitter le pays après un refus, ils ont droit, pendant leur séjour en Suisse, à ce minimum de dignité humaine que représente l’accès à l’instruction. 

Par ailleurs, nous devons veiller au respect de deux principes fondamentaux : la gratuité – y compris pour les camps de ski ! – et la laïcité de l’école obligatoire. En effet, selon une tradition chère aux Neuchâtelois, la primauté de la loi civile sur le droit religieux s’applique pleinement dans le domaine de l’instruction publique.

Ici encore, c’est la parole de Jaurès qui revient en mémoire, quand il s’exclamait le 30 juillet 1904, devant les élèves du collège de sa jeunesse, à Castres :

Démocratie et laïcité sont deux termes identiques. [...] Dans aucun des actes de la vie civile, politique ou so- ciale, la démocratie ne fait intervenir, légalement, la question religieuse. Elle respecte, elle assure l’entière et nécessaire liberté de toutes les consciences, de toutes les croyances, de tous les cultes, mais elle ne fait d’aucun dogme la règle et le fondement de la vie sociale. Elle ne demande pas à l’enfant qui vient de naître, et pour reconnaître son droit à la vie, à quelle confession il appartient, et elle ne l’inscrit d’office dans aucune Église. Elle ne demande pas aux citoyens, quand ils veulent fonder une famille, et pour leur reconnaître et leur garantir tous les droits qui se rattachent à la famille, quelle religion ils mettent à la base de leur foyer, ni s’ils y en mettent une. Elle ne demande pas au citoyen, quand il veut faire, pour sa part, acte de souveraineté et déposer son bulletin dans l’urne, quel est son culte et s’il en a un. Elle n’exige pas des justiciables qui viennent demander à ses juges d’arbitrer entre eux, qu’ils reconnaissent, outre le Code civil, un code religieux et confessionnel. [...]

La démocratie a le devoir d’éduquer l’enfance; et l’enfance a le droit d’être éduquée selon les principes mêmes qui assureront plus tard la liberté de l’homme. Il n’appartient à personne, ou particulier, ou famille, ou congrégation, de s’interposer entre ce devoir de la nation et le droit de l’enfant [2].

C’est en affirmant notre fidélité aux valeurs du socialisme démocratique, sans nous laisser distraire par les modes aux diverses couleurs, que nous conserverons la confiance des travailleuses et des travailleurs dont on a vu, une fois de plus, à l’occasion de cette crise, de quelle considération ils jouissent dans les milieux qui défendent âprement leurs profits, tout en laissant à l’État le soin d’éponger leurs pertes.


[1] Jean Jaurès, Rallumer tous les soleils, textes choisis et présentés par Jean-Pierre Rioux, Éditions Omnibus, 2006, pp. 45-48.

[2] Ibid. pp. 576-578.

 Vive l’école obligatoire, gratuite et laïque!

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