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La fin de la mondialisation ?

Question posée lors de l’émission Forum du 30 mars 2020.

Ce n’est pas la mondialisation qui est en cause, mais la conception même que certains s’en font. Disons-le d’entrée de jeu, nous ne pouvons qu’être pessimistes quant à « un avant » et « un après » la crise du Coronavirus. Pour que le monde ne reparte pas « comme en 40 », il faudrait une révolution des esprits et des croyances. Or, pour ce faire, encore faudrait-il que les médias – notamment publics – deviennent un peu plus critiques envers les dogmes néolibéraux et remettent en cause les idées reçues. Et malheureusement, ce n’est pas pour demain.

Pour preuve, l’intervention de Stéphane Garelli dans « Le grand débat » de l’émission Forum du 30 mars [1] à la RTS. S’agissant de l’avenir de la globalisation après la crise, il a déclaré le plus simplement du monde : « À partir du moment où on va se diversifier, ça veut dire que, nécessairement, on ne va pas avoir accès aux meilleurs fournisseurs, ceux qui sont les meilleur marché... et en fin de compte, des produits peut-être plus chers et de l’autre côté les marges pour les entreprises risquent d’être réduites. On va être dans un monde qui sera plus sûr mais moins efficace qu’auparavant. »

On peut donc constater que pour l’« expert » néolibéral qu’est M. Garelli, qui enseigne dans un institut de formation privé « créée par l’industrie pour les besoins de l’industrie » (sic) [2], l’efficacité du monde se résume à la modicité du prix des produits qu’il crée !

Ainsi donc, l’efficacité n’aurait nul besoin de tenir compte

  • des conditions de production (salaires et conditions de vie des personnes qui produisent les marchandises),
  • de l’empreinte carbone due à la fabrication et au transport des objets,
  • de l’épuisement des ressources nécessaires à leur production,
  • et encore moins de l’utilité de ces produits.

En résumé, pour les néolibéraux, l’efficacité, c’est produire le plus possible au coût le plus bas possible pour dégager le plus grand bénéfice possible. Et ce genre de sornettes est asséné quotidiennement, à longueur de journaux radio-télévisés, par des « experts » ou des journalistes.

Cette pensée néolibérale étroite et parcellaire, que M. Garelli a parfaitement résumée en ses termes, est particulièrement pernicieuse. À force de seriner ces sophismes, depuis quarante ans, grâce aux médias, les idéologues néolibéraux ont réussi à figer toute réflexion politico-économique ; tant et si bien que leurs experts sont inaptes à remettre en question leurs croyances et à y apporter ne serait-ce que quelques nuances. En tout cas, ces propos si « évidents » n’ont pas eu l’heur d’exciter une seconde l’esprit critique du journaliste de la RTS qui a passé sans broncher à la question suivante.

Pourtant, la crise du Coronavirus met en lumière l’imposture de l’économie néolibérale et démonte jour après jour les certitudes d’avant-hier :

Non, l’argent n’est pas une fin en soi ! C’est un moyen qui devrait se borner à faciliter les échanges de services et de marchandises.

Non, ce ne sont pas les managers grassement payés qui sont essentiels à l’humanité. Ce sont les « petites mains » qui nous nourrissent, qui entretiennent nos villes, qui nous soignent… c’est-à-dire des métiers actuellement déconsidérés et sous-payés.

Non, les riches ne font pas vivre les pauvres. Ce sont les pauvres qui enrichissent les riches. La théorie du ruissellement est une mystification.

Non, la finalité du commerce et de l’industrie n’est pas d’enrichir une infime minorité au détriment du plus grand nombre. Son seul but devrait être de contribuer à l’amélioration du bien commun.

Non, le libéralisme économique n’est pas capable de se réformer ; il a déjà démontré cette incapacité après la crise de 2008. Seuls les États, au travers des organisations internationales, peuvent réguler une économie insensée qui mène l’humanité à sa perte. Mais pour cela, encore faudrait-il que les majorités politiques changent pour que les bonnes décisions puissent enfin être prises.

Or, depuis quarante ans, contrairement à ce que prétend M. Garelli, le néolibéralisme a constamment affaibli les États, d’une part en plaçant ses pions aux postes clés de la gouvernance mondiale, d’autre part au moyen de la sous-enchère fiscale. Les pouvoirs du marché (tels que décrits par Joseph E. Stiglitz, prix Nobel d’économie 2001, dans Peuple, pouvoir & profits, 2019), c’est-à-dire les grandes entreprises et ceux qui les détiennent, sont devenus omnipotents et leurs moyens de propagande illimités à travers la presse privée et la publicité.

En près d’un demi-siècle, la presse – 4e pouvoir de la démocratie, mais confisqué par les barons d’industrie – est devenue de fait le principal pouvoir, formatant les esprits, les imprégnant des dogmes néolibéraux ; de sorte que toutes celles et ceux qui n’ont pas eu les moyens de s’intéresser, par eux-mêmes, à d’autres conceptions de l’économie ont subi, et subissent encore, un véritable lavage de cerveau.

Les journalistes des médias de service public (voire des média privés) devraient prendre conscience qu’ils sont les seuls à pouvoir éventuellement contrebalancer le rouleau compresseur idéologique et médiatique du néolibéralisme. Malheureusement, par paresse ou par servilité, certain·e·s ne le font pas, se retranchant derrière une sédative pseudo-neutralité.

Dès lors, comment entrevoir que l’« après-crise » pourrait être politico-économiquement différent, si ceux qui forment l’opinion n’ont pas la volonté ou pas le pouvoir de remettre en cause les dogmes néolibéraux ?

[1]https://www.rts.ch/play/radio/forum/audio/le-debat-coronavirus-la-fin-de-la-mondialisation?id=11186112

[2]https://fr.wikipedia.org/wiki/International_Institute_for_Management_Development

La fin de la mondialisation ?

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